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‘Mon Chien Stupide’ : Critique de film

Mon Chien Stupide
Courtesy of Unifrance

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Yvan Attal et sa femme Charlotte Gainsbourg explorent le côté moins glamour de la vie conjugale dans cette revue adaptation française d’une nouvelle de John Fante en fin de carrière.

Rare est le film sur le bloc de l’écrivain qui ne se termine pas avec l’auteur frustré qui met au rebut ses brouillons sans issue pour « écrire ce que vous savez—, c’est-à-dire, le film que nous venons de regarder. Plus rare encore est le film de chien qui ne se fie pas à son plomb canin pour réchauffer les cœurs, secouer les larmes ou enseigner à son propriétaire des leçons importantes sur son humanité. Commençons donc par donner au drame français de crise de la quarantaine « Mon chien stupide » le mérite de faire quelque chose de différent avec les conventions banales des deux catégories de bien-être auxquelles il appartient.

« Mon Chien Stupide » est le troisième film à travers lequel le scénariste-réalisateur Yvan Attal et sa femme Charlotte Gainsbourg ont partagé une version de leur relation hors écran avec le public — « Ma femme est une actrice », « Happily Ever After » et maintenant ceci — et avec chacun, ils effacent encore plus la mystique qui entoure les couples de célébrités. Attal joue ici Henri Mohen, l’équivalent littéraire d’une merveille à succès, sur les vapeurs d’un roman publié 25 ans plus tôt et qui a connu un succès aussi bien auprès des lecteurs que de la critique. Ce livre a payé sa maison, sa Porsche et son existence confortable de la classe moyenne supérieure. « Depuis, j’écris de la merde », dit Henri avec le genre de franchise qui pourrait conduire un homme à nommer son chien  » Stupide. »

Pas de prix pour ceux qui pensent qu’Henri finira par écrire le film, qu’Attal a en fait adapté d’une des dernières œuvres de l’auteur américain John Fante, recueillie dans son livre posthume « West of Rome » (techniquement, Attal a adapté une adaptation du scénariste britannique Dean Craig). À ses débuts, Fante a versé son cœur sur le papier, ce qui a donné lieu à des chefs-d’œuvre autobiographiques bruts tels que « Ask the Dust », qui a ensuite inspiré la Beat Generation. Mais comme Henri, il s’est évanoui dans l’obscurité, prenant des concerts ingrats en travaillant sur des scénarios oubliables. Aujourd’hui, Fante est plus apprécié en France qu’aux États-Unis, ce qui explique pourquoi un tel film pourrait y naître (Claude Berri rêvait d’adapter « Mon Chien Stupide  » des décennies plus tôt).

En écoutant Henri se plaindre pendant les quatre premières minutes — son résumé dépérissant de déceptions personnelles et de rêves gaspillés juxtaposé de manière incongrue à la partition soft-jazz du compositeur Brad Mehldau —, on imagine facilement pourquoi sa femme Cécile (Gainsbourg) et ses quatre enfants presque adultes ont appris à l’accorder. C’est un échec émasculé, un patriarche sans pouvoir, au-delà de la capacité d’insulter, et il est immédiatement clair en le regardant essayer de faire face à la créature monstrueuse qui a envahi leur jardin qu’Henri ne sait pas comment gérer la situation.

La bête importune se révèle être un dogue napolitain errant, un de ces chiens de la taille d’une vache aux yeux d’ours en peluche tristes et aux plis de peau foncés et tombants qui sont automatiquement le patron en raison de leur taille. Les Mohens ne l’adoptent pas tant que l’inverse. Toute tentative d’affirmer sa domination se heurte à une démonstration de force encore plus grande de la part du chien, qui essaie de monter avec qui il entre en contact. Au lieu d’être consterné, Henri est impressionné par la personnalité de Stupide, utilisant l’entêtement de l’animal comme motivation pour doubler les aspects les plus abrasifs de sa propre nature.

Le reste de la famille est moins enthousiaste. Une fois Stupide installé, les enfants d’Henri déménagent un à un — ce qui lui va très bien et met l’accent sur la relation entre l’écrivain et sa femme, qui a abandonné sa propre carrière littéraire pour un mariage qui a perdu son étincelle. C’est là que le film frappe son pas, creusant l’aspect des relations à long terme que les autres évitent: l’ambivalence qui s’installe après 25 ans, l’ennui, la façon dont aucune des parties ne tente la moindre tentative de séduire l’autre, le tout compensé par les petits gestes et les indices non verbaux qui suggèrent, un peu contre-intuitivement, à quel point le confort qu’elles ressentent l’une autour de l’autre est une sorte de romance en soi.

Les films sur les couples se concentrent si souvent sur le moment où les deux parties tombent amoureuses, ou bien bien plus tard, lorsque la tragédie ou l’infidélité les sépare. Voici une exception qui regarde un couple marié quand les choses sont devenues familières et y trouve la vérité. Attal a une façon de dépeindre sa femme qui ne cherche pas à flatter le moins possible son ego : il la filme plutôt l’air stressée ou exaspérée, souvent sans maquillage, vêtue de vêtements qu’elle n’oserait jamais porter hors de la maison. Il n’y a pas de glamour dans la performance de Gainsbourg; à sa place, nous trouvons l’honnêteté, la voyant comme seul un mari pourrait le faire, et c’est une révélation de découvrir l’essence de l’acteur dans une performance aussi décontractée.

Mais il reste les obligations du genre: Henri doit se rendre compte qu’il a pris sa situation pour acquise, et en quelque sorte canaliser cela dans la littérature. C’est un peu trop facile d’ouvrir un film avec une pincée de voix off qui établit son protagoniste comme un génie. De son livre, il dit: « Il a battu tous les records de vente et a remporté tous les prix littéraires. »

Ce film n’est pas un chef-d’œuvre, mais il est significatif en ce qu’il ne tente pas d’être prétentieux. La situation d’Henri avec son chien est absurde, et il se présente comme un bouffon. Pourtant, il faut un type particulier d’écrivain pour le reconnaître — et il en va de même pour tout réalisateur qui s’identifie suffisamment à lui pour jouer lui-même le rôle. « Mon Chien stupide » réussit à l’avoir dans les deux sens: Henri canalise son expérience dans la littérature, mais le film ne s’arrête pas là. Il peut écrire une fin, la plus honnête, pendant que le film dure quelques scènes de plus, afin qu’Attal puisse donner au public ce qu’il pense qu’il veut.