Articles

Qu’est-ce que l’amour dans le Symposium?

Le célèbre dialogue de Platon, le Symposium, a lieu le lendemain de la victoire du poète tragique Agathon à la Lenaia en 416 av.J.-C., l’année précédant la quête ratée d’Alcibiade en Sicile. Le cadre dramatique se produit parmi un groupe d’Athéniens réunis chez Agathon à Athènes pour célébrer sa victoire. La fête est un symposium, parfois traduit par un « banquet. »Le mot symposium signifie littéralement l’activité de « boire ensemble », faisant allusion à l’amour grec de mélanger le discours intellectuel avec la consommation de vin.

Le dialogue est présenté au lecteur à de multiples niveaux de distance, indiquant qu’il y a quelque chose à cacher dans son sens et faisant également allusion à la nature opaque de l’éros, en général. Le symposium a eu lieu il y a de nombreuses années. Aristodème fuit à l’origine l’histoire du symposium. Il le re-dit ouvertement publiquement à tous ceux qui l’écouteront, y compris un homme nommé Apollodore, qui confirme les détails avec Socrate. Le dialogue est entièrement basé sur le souvenir de ces deux individus, principalement Aristodème, car il assistait initialement à la fête avec Socrate. Contrairement à d’autres dialogues, comme la République, le Symposium est un souvenir des autres participants et n’est révélé au public que de nombreuses années plus tard, après que l’expédition sicilienne ratée ait disparu depuis longtemps de la conscience du public. Léon Strauss indique que c’est à cause de la croyance populaire selon laquelle Alcibiade était le profanateur des mystères sacrés d’Éleusian, alors qu’en fait c’était en fait Socrate comme en témoigne son discours sur Diotima. Le récit de l’histoire ne peut être raconté que de nombreuses années après ce fait, lorsque les démos ne sont plus maniaques. Ce contexte est crucial pour comprendre le dialogue.

Bien qu’il y ait de nombreux thèmes importants à considérer dans le Symposium, tels que la célèbre « querelle ancienne entre les poètes et les philosophes » d’Homère ou la lutte entre la théologie et la philosophie pour le véritable siège de la sagesse, la question superficielle de l’amour, le dieu eros, mérite également d’être examinée. Qu’est-ce que l’amour ? On nous donne essentiellement sept discours variés qui tentent de répondre à cette question. Chaque discours révèle beaucoup sur le caractère particulier de chaque orateur. En fait, contrairement à d’autres dialogues socratiques, la question déterminante de « ce qui est… » ne commence pas au début du dialogue. Elle n’est abordée explicitement que plus tard dans le dialogue. Au lieu de cela, le plan de « donner à éros ses louanges » est proposé par Érixymaque, le médecin, et Phèdre, qui prétend qu’eros n’a jamais été correctement loué. Érixymaque propose le scénario commençant par Phèdre, et Socrate appelle Phèdre le père des discours.

I. Phèdre
Phèdre, dont le nom signifie littéralement « radieux » ou « lumineux », figure en bonne place dans le Symposium et le dialogue de Phèdre éponyme. Il était un bon ami d’Érixymaque, en raison de leur intérêt commun pour la physique, ainsi que pour les arts et la philosophie. Il a été dit plus tard que Phèdre était l’un des favoris de Socrate. Comme Alcibiade, Phèdre a été accusé d’être un profanateur des mystères éleusiens en 415 avant JC, et aussi comme Alcibiade, il a fui Athènes. Son récit d’ouverture d’eros est une louange d’eros en tant que dieu le plus ancien, et donc le plus grand et le plus honorable (178B). Comme justification, il cite les poètes, Hésiode et Akousilaus (aujourd’hui perdus). Sans éros, ni la ville ni l’homme ne peuvent accomplir de « grandes et belles actions ». Comme les deux orateurs suivants, Phèdre s’intéresse à l’application pratique de l’éros et à ce qu’elle peut faire faire aux hommes. Il invoque les images d’Alceste mourant pour son mari, Admète, qui n’a pas correctement loué les dieux et qui a donc demandé un sacrifice humain; du « doux » Orphée qui a été renvoyé d’Hadès car il n’est pas mort pour sa femme, Eurydice; et enfin de la vengeance honorable d’Achille pour la mort de Patrocle qui lui a certainement coûté la vie comme il en a été informé par sa mère, Thétis. Pour cela, les dieux ont récompensé Achille en l’envoyant dans les îles du Bénitier. Phèdre prétend que Patrocle était amoureux d’Achille, comme Phèdre parle du point de vue du bien-aimé, et loue leur amour. Dans son discours, nous apprenons que l’amour est intimement lié à la conscience et à l’acceptation de la mort, en tant que besoin d’affirmation de la vie pour la polis. Phèdre présente le point de vue tragique classique d’éros.

II. Pausanius
Ensuite, quelques autres parlent, mais Aristodème les saute pour raconter l’histoire d’amour de Pausanius, du point de vue du juriste et de l’amant, plutôt que de l’aimé. Il commence par identifier deux versions d’éros, le noble et la base. Le facteur déterminant est la façon dont on se comporte, pas que l’amour soit, en soi, intrinsèquement noble ou fondamental. Il fournit une défense de la pédérastie avec la loi, car elle amène le bien-aimé à admirer ses bons et nobles aînés, et en même temps Pausanius donne un aperçu des lois grecques qui exploitent de manière appropriée le point de vue d’un amant. Son but est de réformer les lois afin qu’un bien-aimé puisse se connecter avec un amant afin que les deux exercent un amour mutuel de la vertu. Pausanius nous enseigne que l’activité de l’amour n’est pas intrinsèquement noble ou de base, mais doit être pratiquée d’une manière ou d’une autre, et nous oblige également à examiner la relation entre éros et nomos, l’amour et la loi. L’amour n’est pas lié par des coutumes ou des lois et il doit, en effet, supplanter la loi (rappelons l’amour non conventionnel de Roméo et Juliette). Nous sommes également obligés de considérer l’amour du pays, ou l’amour de la justice, et qu’il doit parfois aussi l’emporter sur la loi (considérons les actions d’un tyran contre celles d’un patriote en rébellion).

III. Erixymaque
Ensuite, Aristophane devait parler, mais il est soudainement submergé par une crise de hoquet ridicule, et ainsi Erixymaque parle à sa place. Érixymaque, le médecin, étend la portée de l’amour à « toutes les choses qui sont » (185A), y compris les hommes, les animaux et les plantes. De cette manière, la santé du corps devient un art principalement érotique, à savoir « l’art de la médecine ». Son souci est l’harmonie, la consonance et l’équilibre dans le corps parce qu’il veut savoir ce que fait eros pour affecter la vie et la santé. Il s’appuie sur la défense de Pausanius de la pédérastie et des excuses pour l’amant sur l’aimé en déclarant que les êtres humains décents doivent être gratifiés de manière harmonieuse afin que les humains moins décents puissent devenir décents et vertueux. Ceci doit être compris comme le noble éros. Cependant, l’éros de base apparaît avec la cupidité, la peste et les intempéries, car celles-ci sont malsaines. De Pausanius, on nous rappelle l’inclusion de l’harmonie et de la consonance dans l’amour, un rapprochement du bruit désordonné d’une cacophonie pour former une symphonie plus parfaite et ordonnée. Ironiquement, Aristophane a été submergé par une crise de fonctions corporelles incontrôlables – hoquet et éternuements pendant le récit très physique de Pausanius sur l’amour, ce qui fait rire les autres.

IV. Aristophane
Quand Aristophane parle, il marque un nouveau départ pour l’éloge d’éros. Il affirme que les humains ignorent totalement le véritable pouvoir d’éros, car éros est le plus « philanthropique des dieux ». De plus, eros est un « médecin traitant d’une maladie dont la guérison entraînerait le plus grand bonheur pour la race humaine » (189D). Aristophane raconte une histoire tragique mais humoristique des origines de l’homme, à l’image de celles que l’on retrouve dans les œuvres de nombreuses œuvres de l’Antiquité classique, comme Hésiode ou Ovide. Dans son récit, il y avait à l’origine trois races d’humains – les hommes, les femmes et une race androgyne. Cependant, chaque personne avait deux ensembles de tout – visages, organes génitaux, bras et jambes, etc. Au lieu de marcher, les gens ne faisaient que dégringoler en grands cercles, comme des êtres globulaires comme leurs parents, qui étaient respectivement le soleil, la terre et la lune. Dans leur fierté, ces premiers humains ont tenté de faire une ascension dans le ciel et de vaincre les dieux. Au lieu d’effacer la race humaine, Zeus décide de les couper en deux avec l’aide d’Apollon qui aide à tourner leurs visages vers l’avant. De plus, avant ce changement, les humains ont accouché sur la terre comme des cigales, mais Zeus met leurs organes génitaux devant eux de sorte que si un homme et une femme se réunissent, la procréation est possible ensemble, et si deux hommes se réunissent, ils peuvent au moins se rassasier (il n’y a aucune mention du lesbianisme). Eros est donc « porteur-ensemble de leur nature ancienne, qui essaie de faire un sur deux et de guérir leur nature humaine » (191D). Aristophane fournit une défense de l’homosexualité, et aussi de la pédérastie, car c’est l’union la plus virile de deux personnes. Contrairement à d’autres avant lui, Aristophane tente d’aborder la question de l’amour, plutôt que de savoir comment il peut être appliqué pratiquement à l’humanité. D’après le récit assez amusant d’Aristophane, nous retirons qu’il y a une nature ancienne à laquelle nous aspirons à revenir, une nostalgie comme dans le cas d’Ulysse, et un désir de poursuivre le tout, qui est peut-être la seule partie à laquelle il vaut la peine de s’accrocher à son discours. Comme dans le cas des récits théologiques, les humains ont une nature déchue dont ils doivent essayer de se remettre, et il y a un siglio oro édénique, ou âge d’or, auquel les humains doivent essayer de revenir. Aristophane, le célèbre comédien qui se moquait de Socrate dans Les Nuages, défend le rôle des poètes. Il conclut également qu’il y a une fin à l’amour – une satiété qui se produit une fois que quelqu’un forme une union sexuelle avec son autre moitié perdue depuis longtemps. En tant qu’antiquaire épris de douleur, Aristophane conclut que cela doit provenir d’un passé ancien auquel les humains aspirent à revenir. Éros est un désir gratifiant de sexe et de procréation pour Aristophane, cependant l’eidos le plus noble à glaner d’Aristophane est qu’éros est une poursuite du tout – le concept du tout sera plus tard abordé par Socrate.

V. Agathon
Après la conclusion d’Aristophane, Érixymaque loue le discours et affirme qu’il n’est pas jaloux de la station d’Agathon et de Socrate car ils doivent suivre ce qui a déjà été dit. Socrate s’engage alors avec Agathon qui croit que Socrate essaie de le menacer de manière ludique parce que sa sensibilité est plus grande que beaucoup d’imbéciles, et Socrate l’oblige à accepter qu’il ferait honte aux sages, mais peut-être pas aux nombreux. Avant qu’Agathon ne puisse répondre à cette dernière question, Phèdre interrompt et fait signe à Agathon de prononcer son discours louant éros. Agathon commence son discours en déclarant que, contrairement aux discours précédents, il s’ouvrira avec une tentative d’aborder l’identité d’éros. D’abord, il abordera son identité, puis il reconnaîtra ses dons. Agathon prétend qu’éros est le dieu le plus heureux, le plus beau et le meilleur. Il est en désaccord avec Phèdre en affirmant qu’éros est en fait le plus jeune dieu, et qu’il est doux et souple. Eros voyage partout où un lieu est fleuri et beau (196B). Rappelons qu’Agathon, connu pour son incroyable attrait, a été moqué par Aristophane dans sa pièce, Thesmophoiazusae, alors qu’il était vêtu de vêtements féminins pour espionner les femmes suspectes. Quoi qu’il en soit, Agathon continue en affirmant qu’éros n’est pas affecté par la violence ou l’injustice, et éros est courageux et modéré en toutes choses. Dans une tentative d’honorer « l’art » d’Agathon, de la même manière qu’Érixymaque a honoré son art médical, Agathon note qu’éros doit être un poète et que ses pouvoirs peuvent également faire d’autres poètes. De cette façon, eros est un « faiseur », poeitikos. Une de ses principales conclusions est qu' » il n’y a pas d’éros présent dans la laideur » (197B), point que Socrate contestera plus tard. Nous apprenons d’Agathon qu’eros est en toutes choses douce et belle – nous invoquons l’image d’une fleur en herbe au printemps. Il est important de noter qu’Agathon, le poète tragique, reçoit un tollé d’applaudissements de la foule une fois qu’il a terminé son discours, comme l’a noté Aristodème. À tel point, en fait, que Socrate prétend de manière ludique qu’il ne peut pas le suivre jusqu’à Érixymaque.

VI. Socrate
Socrate, en parlant après les deux poètes et en réponse principalement à leurs revendications, commence par dire qu’il ne peut pas faire l’éloge d’éros de cette manière, mais s’ils le souhaitent, il peut rendre compte de ses propres termes. Socrate commence alors par obliger Agathon, dans une dialectique, à admettre que l’éros est un amour de quelque chose (ou de quelqu’un) et doit être un désir de quelque chose qui lui manque (en écho à Aristophane), et donc l’éros ne peut pas être tout bon et tout beau – il doit être plus laid que la beauté à laquelle il aspire. Agathon admet sa propre ignorance et est d’accord avec Socrate (201B). Eros suppose un état de privation, et un désir pour le tout. Socrate raconte alors son échange avec Diotima de Mantinée, dont le nom signifie littéralement « honneur de Zeus ». C’était une personne « sage » qui a pu retarder de dix ans un fléau sur Athènes grâce à son art de l’érotisme (201D). Curieusement, Socrate a introduit une « étrangère » (d’Arcadie) sous la forme de Diotima dans le symposium des hommes athéniens, et il convient également de noter qu’elle est une femme (auparavant, toutes les femmes de la maison d’Agathon avaient été licenciées). En tout cas, Diotima introduit une médiation entre les humains et les dieux, et révèle qu’eros est l’un de ces médiateurs – un démon. Contrairement à d’autres dans le symposium, Diotima présente les parents d’eros comme Poros (Ressource) et Penia (Pauvreté), lors du complot de Penia alors que Poros était ivre de nectar, ils s’imprègnent d’eros. Elle décrit eros, non pas comme philanthropique ou comme donnant ou aidant pour les humains, mais plutôt comme « toujours pauvre » et « loin d’être tendre et belle, comme le croient beaucoup » et comme étant « dur, sordide, sans chaussures et sans abri dwelling toujours habité par le besoin. Mais conformément à son père, il complote pour piéger le beau et le bon ….philosopher toute sa vie  » (203D). Pour Diotima (Socrate), éros est un philosophe. Elle nie l’affirmation d’Aristophane selon laquelle l’éros peut être n’importe quelle moitié de n’importe quoi : « En bref, l’éros est tout le désir de bonnes choses et d’être heureux » (205D). Elle affirme que lorsqu’ils poursuivent le bien en éros, les humains poursuivent la beauté en termes de corps et d’âme – d’essayer d’atteindre l’immortalité en tant que mortels. Avec éros, chaque humain prend une partie des choses immuables, mais elles viennent toujours être et disparaissent également (mouvement aristotélicien dans la Physique). La procréation et la génération, physiquement, sont une tentative de poursuivre l’espèce (une manifestation de la « volonté de puissance » comme l’a appelée Nietzsche), et les hommes essaient toujours d’atteindre l’immortel – elle réintroduit les cas d’Alceste et d’Achille qui ont été mentionnés à l’origine par Phèdre dans son amour timocratique de l’honneur. Aucune n’est une plus grande vertu que l’ordre des affaires des villes et des ménages (209A) – ces villes produisent des « enfants » durables tels que les lois de Lycurgue à Sparte et de Solon à Athènes. Elle passe ensuite de la ville à l’individu – quand on est jeune, il faut aller vers de beaux corps, pour se rendre compte que les corps sont tous pareils, et que l’amour pour l’âme est plus honorable. Ce genre de beauté a toujours l’être, ne périt jamais, et n’est ni belle à un égard ni laide à un autre, mais est une forme entière. De là, Socrate est initié aux mystères éleusiens – l’échelle de l’amour – afin qu’il essaie d’embrasser la forme unique du beau. Diotima présente une hiérarchie de l’amour des corps, jusqu’à la forme de kalon (le beau). Ce n’est qu’à cet endroit que la vie d’un humain vaut la peine d’être vécue, selon Diotima (elle implique encore une fois le lien entre la mort et l’amour, le sacrifice de soi ou la passion). Socrate conclut en disant qu’il n’y a pas de meilleur « collaborateur avec la nature humaine qu’eros » (212B). Contrairement à Agathon, seuls certains participants louent le discours de Socrate, mais avant qu’Aristophane ne puisse répondre aux réclamations formulées contre lui, un martèlement bruyant est entendu depuis la cour.

VII. Alcibiade
Alcibiade, le jeune et bel homme et disciple de Socrate, s’immisce dans la fête de manière explosive et  » très ivre « , exigeant d’être emmené à Agathon. Il porte une couronne et dit qu’il la décorera sur la personne « la plus sage et la plus belle » de la fête (212E). Contrairement à d’autres à la fête, y compris Socrate, chacun des hommes ne souhaite pas qu’on se moque d’Alcibiade, car comme le dit Nietzsche: il n’y a pas de meilleure façon de tuer quelque chose que d’en rire. En tout cas, Alcibiade saute en remarquant Socrate et prétend qu’il est impossible de se réconcilier avec Socrate car il est jaloux de son amour avec Agathon. Alcibiade jure « vengeance » sur Socrate à un autre moment. Néanmoins, il couronne Socrate, louant à juste titre les philosophes sur les poètes comme les prétendants au trône de la sagesse et de la beauté. Alcibiade déclare alors qu’il fera un discours louant Socrate, tout en disant la vérité sur Socrate (comme vengeance). Alcibiade prétend que Socrate est comme le Silène, le mi-humain, mi-âne qui, lorsqu’il est attrapé, donne une vague sagesse sur la préférence pour la mort plutôt que pour la vie. Il affirme que Socrate est aussi comme le flûtiste Marsyas, charmant ceux qu’il rencontre. Alcibiade dit qu’il a d’abord décidé de s’occuper des affaires politiques des Athéniens au lieu de vieillir sous les charmes de Socrate, qui est comme les Sirènes de l’Odyssée. Alcibiade ne ressent de honte que devant Socrate à cause de sa décision de rechercher l’honneur des démos (les nombreux) au lieu de rechercher la sagesse. Alcibiade est un homme politique, pas un philosophe. Il raconte l’histoire de quand il était plus jeune et une fois essayé de séduire Socrate, mais Socrate n’était pas comme les autres hommes, les pédérastes, et en fait, même quand Alcibiade a renvoyé son accompagnateur, Socrate a continué comme d’habitude et ne céderait à aucun comportement licencieux, ce qui a conduit Alcibiade à admirer son courage et sa modération bien plus que tout autre. Il raconte la maîtrise de soi de Socrate qui surpassait de loin les autres, même lors de leur expédition militaire à Potidée. Alcibiade prétend que Socrate a tendance à amener les garçons, comme lui, Charmide, Euthydème et bien d’autres, à croire que Socrate est l’amant, mais en fait il leur fait réaliser qu’il est en fait l’aimé. Alcibiade offre cela comme un avertissement à Agathon, et des rires éclatent à la fin de son discours. Alcibiade devient follement envieux envers Socrate, alors qu’Agathon choisit de s’allonger à côté de lui.Le dialogue se termine lorsqu’un grand groupe de personnes entre par la porte d’entrée et commence à boire. Érixymaque et Phèdre, les buveurs de lumière, prennent congé avec quelques autres. Finalement, Aristodème s’endort et il est réveillé lorsque les coqs chantent seulement pour constater qu’Agathon et Aristophane et Socrate sont toujours éveillés – les deux poètes et le philosophe. Socrate les oblige à accepter deux affirmations: 1) que le même homme doit savoir faire de la comédie et de la tragédie, et 2) que celui qui est par l’art un poète tragique est aussi un poète comique. Socrate s’adresse bien sûr à un poète comique (Aristophane) ainsi qu’à un poète tragique (Agathon) et leur demande de sortir de leurs arts particuliers pour considérer la tragédie et la comédie dans leur contexte l’une de l’autre. Comme le rappelle Aristodème, aucun poète n’est capable de suivre pleinement Socrate. Aristophane s’endort d’abord puis Agathon – ne laissant que le philosophe endurer. C’est une réponse appropriée aux accusations portées contre Socrate dans Les Nuages, et c’est aussi une moquerie amusante du concours d’Aristophane entre poètes dans Les Grenouilles. En tout cas, Socrate quitte la fête après avoir couché les poètes et il est suivi par Aristodème. Il va au Lycée comme il avait l’habitude de le faire n’importe quel autre jour et le soir, il rentre chez lui pour se reposer. Tout au long de la question de l’amour, il n’y a aucune mention de Xanthippe, la femme de Socrate, bien qu’elle soit mentionnée ailleurs dans les écrits de Platon et de Xénophon.

La question de la maîtrise de soi de Socrate est particulièrement à propos dans un dialogue axé sur l’éros. Les Grecs avaient plusieurs mots différents pour l’amour, principalement: philia ou amitié profonde et camaraderie militaire, agape ou amour désintéressé pour tout le monde, y compris les étrangers, et eros signifiant amour romantique et particulièrement sexuel. Eros peut être dangereux pour l’amant, ainsi que pour l’aimé, comme en témoigne la relation entre Socrate et Alcibiade. L’amour peut affirmer la vie, mais il doit aussi être restreint et contrôlé, comme dans le cas de Socrate. C’est une sensation dangereuse entre de mauvaises mains, comme Alcibiade, qui maintient davantage une personnalité tyrannique. La maîtrise de soi d’une personne est testée lors d’un symposium – une soirée où les inhibitions des gens sont détendues et où la vérité devient plus importante, comme nous le rappelle la célèbre maxime latine. Un symposium est un assouplissement des lois, comme en témoigne la discussion de la pédérastie parmi les aristocrates athéniens, comme les réformes demandées par Érixymaque. Dans un symposium, il est crucial pour l’homme de modération de légiférer pour lui-même des règles (note: ce n’est pas une allusion à l’impératif catégorique de Kant), comme dans le cas de Socrate qui n’est affecté ni par l’alcool, ni par les paroles des poètes, ni par les avances sexuelles. À mesure que la vérité devient plus importante, plutôt que l’obéissance à la loi ou à la coutume, la question de la relation entre éros et la vérité devient moins claire.

Pour cette lecture, j’ai utilisé la traduction magistrale de Seth Benardete du Symposium de Platon pour les Presses de l’Université de Chicago.