Roumains et Hongrois
Entre la Turquie et l’Autriche
Entre le XIVe et le XVIIIe siècle, les principautés roumaines de Moldavie et de Valachie ont évolué dans le monde religieux et culturel orthodoxe oriental: leur allégeance ecclésiastique était au patriarcat de Constantinople; leurs princes imitaient les empereurs byzantins et tiraient leur loi écrite des codes byzantins; leur économie était agraire et leur société rurale; et leur art et leur littérature suivaient les modèles religieux et didactiques orientaux. Pourtant, les Roumains possédaient aussi des qualités qui les distinguaient de leurs voisins et les attiraient vers l’ouest: ils parlaient une langue dérivée du latin, et ils reconnaissaient les Romains comme leurs ancêtres.
Près de quatre siècles de domination turque ottomane entre le XVe et le XIXe siècles ont renforcé l’attachement des Roumains à l’Orient. À peine les principautés avaient-elles obtenu leur indépendance qu’elles étaient forcées de faire face à l’avancée incessante des armées ottomanes dans le sud-est de l’Europe. En reconnaissant la suzeraineté du sultan et en lui versant un tribut annuel, les Roumains évitèrent l’incorporation directe dans l’Empire ottoman. Les Roumains ont ainsi préservé leurs institutions politiques, leurs lois et leur structure sociale, et ils ont évité une installation massive de musulmans sur leurs terres.
L’autonomie des principautés n’a été sérieusement compromise qu’au début du XVIIIe siècle. Les princes ont mené leur propre politique étrangère (bien qu’une telle action ait violé leur statut de vassal formel), et ils ont même rejoint des coalitions anti-turques afin de rejeter la domination ottomane. Le règne de Michel le Brave de Valachie (1593-1601) marque le point culminant de l’autonomie roumaine. Pour aider à chasser les Ottomans d’Europe, Michel adhère à la Sainte Ligue des puissances européennes et à la papauté ; il retrouve ainsi sa pleine indépendance et unit même la Moldavie et la Transylvanie sous son règne. Mais l’éclatement de la coalition mit fin à son bref succès, car les Roumains étaient trop nombreux pour se tenir seuls face aux Ottomans.
Le fardeau le plus lourd de la suzeraineté ottomane n’était pas politique mais économique. Le tribut augmentait régulièrement et la demande de marchandises de toutes sortes — céréales, moutons et bois d’œuvre, fournis à une valeur inférieure à la valeur marchande — ne connaissait pas de limites. Les Ottomans appréciaient particulièrement le blé et, à la fin du XVIe siècle, Constantinople était devenue dépendante des approvisionnements des principautés.
La domination ottomane a atteint son apogée au 18ème siècle sous ce que l’on appelle généralement le régime phanariote. Les principautés roumaines étaient désormais des remparts militaires vitaux de l’empire, alors que la Russie et la monarchie des Habsbourg se pressaient sans relâche contre ses frontières, et que les responsables ottomans décidaient de remplacer les princes indigènes par des membres de familles grecques ou hellénisées du district du Phanar de Constantinople qui avaient amplement démontré leur loyauté envers le sultan. En conséquence, l’autonomie des principautés a été considérablement réduite, et le paiement du tribut et la livraison des fournitures ont augmenté précipitamment. L’influence grecque dans l’église et dans la vie culturelle s’est étendue, malgré l’opposition des boyards indigènes (nobles) et des hommes d’église. Pourtant, de nombreux princes phanariotes étaient des dirigeants capables et clairvoyants: en tant que prince de Walachie en 1746 et de Moldavie en 1749, Constantin Mavrocordat abolit le servage, et Alexandru Ipsilanti de Walachie (règne 1774-82) initia de vastes réformes administratives et juridiques. Le règne éclairé d’Alexandru, en outre, a coïncidé avec de subtils changements dans la vie économique et sociale et avec l’émergence de nouvelles aspirations spirituelles et intellectuelles qui pointaient vers l’Occident et vers la réforme.